La cacherouth

Un dossier préparé par K. Acher
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Mourir de faim?

 

Ce jeune homme qui a survécu à l'Holocauste risqua de mourir de faim durant son voyage en Amérique car il refusait de manger non cacher.

Pendant 50 ans, j'ai eu le privilège de travailler à la Yéchivah de Mir de Brooklyn. Mais auparavant j'ai vécu en Europe avant la Seconde Guerre Mondiale et survécu durant la Seconde Guerre Mondiale. Ces années ont façonné ma vie et m'ont déterminé à poursuivre fermement notre mode de vie basé sur l'adhésion aux Mitsvoth.
J'avais douze ans, et étais avec mon père dans un camp de travail, survivant avec une tranche de pain et une louche d'une soupe contenant quelques petits pois.
Mon père avait repéré une ruine, non loin du camp, où se retrouvaient quelques prisonniers chaque matin pour prier. Il m'avait dit "Moché, tant que nous sommes vivants, il faut faire quelques chose pour "Ribono chel Olam". Et j'avais accepté de me joindre à lui tous les matins, bien tôt puisqu'il fallait être de retour à 6 heures pour le rassemblement. Cette équipée se faisait au risque de notre vie. Mon père soulevait les fils barbelés avec sa main, pour que je puisse passer, puis se faufilait lui-même sous les barbelés. Quand je passais, il me chuchotait "baisse toi bien mon fils, "ot azoi", ça y est. C'est avec ce "ot azoi" que je commençais ma prière en minyan, et il résonne encore dans mes oreilles aujourd'hui.
Comment décrire ces prières dans cette ruine? Les murs suintaient de nos prières et de nos pleurs. Même à Kippour, je n'ai pas retrouvé aujourd'hui de prières aussi poignantes.
Quand je fus libéré du camp, il me fallut des années pour pouvoir quitter l'Europe. Je vécus à Vienne de 1948 à 1952, dans l'attente de réunir les papiers pour obtenir un visa d'immigrant.
Il fallait d'abord une invitation d'un résident américain, ce que me procura le Rav Avraham Kalmanovitz, de la Yéchivah de Mir.
Puis un examen devant neuf commissions. Examen de santé, divers interrogatoires, notamment pour vérifier que vous n'êtes pas communistes. S'il manquait l'accord d'une commission, retour à la case départ et tout recommencer…
Lorsque le visa me fut accordé, je pris le train avec quelques autres chanceux, de Vienne à Bremerhaven en Allemagne, où nous pûmes trouver place sur le USS General CH Muir.


USS General CH Muir

Ce bateau affecté au transport de troupes vers le Vieux Continent rapportait vers l'Amérique des personnes déplacées. Sur 1263 passagers, nous étions 163 juifs. A raison de 300 personnes par dortoir, il y avait des matelas partout.
Cela se passait le 1er janvier 1952. Nous n'avions rien reçu à manger de la journée, n'avions pas d'argent pour acheter des provisions, mais étions assurés que le soir même à l'occasion du Nouvel An, il y aurait à manger.
Effectivement, le soir, nous fumes appelés dans la salle à manger. Six cuisiniers se tenaient en ligne, et chacun avait reçu un plateau avec six emplacements, que les cuistots remplissaient au fur et à mesure.
Du premier coup d'œil, je réalisai que rien n'était cacher.
Je quittai la file, et aperçu un grand panier de pain, sur lequel était écrit "deux tranches par personne". Au moins l'anglais que j'avais appris ces derniers mois pour me préparer à l'immigration me servait à quelque chose.
J'avais sauté l'étape "plats cuisinés" et me fis un "kal vahomer" qui me permettait de prendre plus de pain. Je pris 6 tranches!
J'avais à peine mis le pain sur mon plateau vide qu'un officier en uniforme se précipita vers moi. Il me prit la main, me tira vers la poubelle, et y renversa tout le pain.
J'étais complétement cassé! Je mourrais de faim, et en plus il m'avait empêché de prendre du pain!
Il y avait parmi les passagers un chohet, très froum. Il fut malade durant les onze jours de la traversée. Lors d'une visite, je m'entretins avec sa femme: comment après avoir survécu aux Nazis, pouvions nous mourir de faim dans ce bateau.
Un plan fut élaboré: tous les juifs qui ne mangeaient pas à bord iraient voir le capitaine pour expliquer la situation.
Le lendemain matin, nous étions tous sur le pont supérieur. Terrorisés mais déterminés, nous frappâmes à la porte du capitaine, qui nous fit entrer avec amabilité. Il nous écouta d'une oreille attentive et compréhensive.
Il nous proposa de nous donner des pois, des œufs, des pommes de terre, des oignons et des sardines, le tout avec des plats neufs encore dans leurs cartons. "Notre petit déjeuner commence à sept heures, la cuisine est à vous de 5 à 7 heures chaque matin. Par contre, je ne peux pas vous donner du pain, il contient du saindoux…"
Je réalisai à quel point D.ieu m'avait aidé dans ma détermination à manger cacher en toutes circonstances.
Dès le lendemain, la femme du chohet se mit à cuisiner pour nous tous. Nous étions une treize au départ, mais à la fin du voyage nous étions 92.
Cette épreuve supplémentaire nous donna des forces supplémentaires pour continuer notre vie de juifs fiers de nos Mitsvoth sur notre nouvelle terre d'accueil.

Une histoire traduite de Kashrus Magazine Mars 2015
(Tirée de On the wings of a child's prayer)

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