La cacherouth

Un dossier préparé par K. Acher
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Pat Israël en Roumanie

C'est une plainte bizarre que le policier de service au commissariat de Borsk(?) en Roumanie reçut.
"Je suis boulanger, et chaque soir un individu rentre dans mon fournil, s'approche du four et y jette quelque chose".
Le fonctionnaire note consciencieusement la plainte, se demandant à quelle affaire de fou il a affaire. Mais un détail l'alerte: "cet homme est juif et a l'air d'un personnage important. Nous l'avons averti à plusieurs reprises de ne pas revenir et que nous pourrions porter plainte contre lui, mais ça n'a pas l'air de l'avoir effrayé".
Borsk (?) est un village de cure connu, et un lieu de villégiature apprécié pour son air pur et ses sources d'eau minérale aux vertus curatives, dans les montagnes Carpathes. Il attire beaucoup de vacanciers durant l'été, dont beaucoup de juifs religieux.
Le Rav Naftali Halpert fut le Rav de la ville de Satmar durant une vingtaine d'années, IL survécut miraculeusement à la guerre et les sévices des nazis, et revint à Satmar où il se remaria. Il fut par la suite nommé Rav de toute la région des Carpates et de la Transylvanie, et s'appliqua à remettre sur pied la vie juive de la région: cacherouth, bains rituels, erouvim et observance du Chabbath.
C'est ainsi qu'il fut nommé par le Grand Rabbin de Roumanie, le Rav Rozen, comme responsable de la cacherouth pour Borsk où séjournaient tant de juifs religieux durant les mois d'été.
C'est la raison pour laquelle il marchait chaque nuit jusqu'à la boulangerie, pour y jeter une brindille dans le feu, afin que le pain n'ait pas le statut de "pain d'un non juif" mais devienne "pain cuit par un juif". Ce n'était pas une tâche facile en pleine nuit, lorsque des maraudeurs ou des ivrognes rodaient dans les rues du village, quand ce n'étaient pas des bêtes sauvages. Mais le Rav Halpert n'était pas homme à se laisser impressionné, tant il était certain de la parole de nos Sages qu'aucun mal ne peut arriver à un "chalia'h Mitsvah", celui qui s'affaire à une Mitsvah.
On était en pleine période communiste, et toute embrouille avec les autorités représentait un risque majeur, surtout pour les juifs. Malgré ceci, il continuait ses visites nocturnes à la boulangerie pour assurer une cacherouth irréprochable aux vacanciers juifs.
Une nuit, après que le Rav ait jeté ses brindilles dans le four, il entendit une voix ferme "Arrêtez-vous, Police". Il se retourna et se trouva en face d'un pistolet pointé vers lui.
"Que faites-vous ici? De la sorcellerie? Vous vous expliquerez devant notre enquêteur, suivez-moi".
Dans la voiture qui l'emmenait au poste de police, le Rav eut le temps de mettre un peu d'ordre dans son esprit. Le policier se tourna vers lui.
"Dites-moi. Vous êtes un rabbin, n'est-ce pas. Si vous me donnez une explication sensée à vos actions, je vous libère de suite".
Comment allait-il expliquer à ce brave policier l'exigence de "pat Israël" le pain juif, dans le contexte anti religieux de l'idéologie communiste d'alors?
"Vous savez que nous les juifs croyons dans la Torah et accomplissons ses commandements au pied de la lettre. Or la Torah enseigne un principe fondamental: "tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. Chaque homme doit travailler pour avoir son pain, et nul n'est autorisé à manger du pain pour lequel il n'a pas travaillé un tant soit peu. Etant donné que les juifs sont ici en villégiature pour se reposer, ils m'ont chargé de travailler à leur place pour "gagner leur pain" et les acquitter du travail nécessaire, au minimum participer à la cuisson du pain.
Le policier fut très impressionné. Ainsi donc, les juifs participaient eux aussi de cette idée communiste qui est de travailler effectivement pour manger. Et ce Rabbin était lui-même attaché à ce principe si cher aux yeux du Parti!
L'attitude du policier changea aussitôt. Le Rav fut bien sûr libéré immédiatement, non sans que le policier lui ait garanti qu'à partir de maintenant il serait accompagné chaque nuit par des policiers jusqu'à la boulangerie, et qu'il lui donnerait en mains propres une autorisation écrite d'y entrer à sa guise.

Le Rav Halpert monta en Israël, et il y quitta ce monde en 5748 – 1988.

Traduit par K.Acher de Sihat Hachavoua, N° 1382, 2013

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