La cacherouth Un
dossier préparé par K.
Acher
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Mélanges interdits
7
Adar.
Grande effervescence dans la maison du président de la "Hévra
Kadicha" de Jérusalem. La "Sainte Société" regroupe les
divers bénévoles qui assurent les enterrements dans la communauté,
gèrent les cimetières de Jérusalem et veillent à
la conformité religieuse de ces opérations.
Une fois par an, tous se réunissent en un banquet pour fêter
l'honneur d'être unis dans cette sainte tâche, faire le bilan
de l'année écoulée, parler projets –sinon budget- pour
l'année à venir, et surtout échanger des propos de Torah.
C'est le 7 Adar, jour anniversaire de la naissance et de la mort de Moché
Rabbénou –Moïse- qui est rituellement ici la date de cette réunion.
Les femmes aussi ont une part dans cette Mitsvah. Mais cette fois leur rôle
est aussi dans la cuisine. [Note: la "Hévra Kadicha" a toujours
une sectiuon féminine pours'occuper du corps des défuntes]
Affairées avec la maîtresse de maison, les voisines épluchent,
cuisent, assaisonnent, remuent dans les marmites. Un véritable ballet
dans cette petite cuisine, que vient perturber un coup de vent. Une fenêtre
battante vient heurter un pot de lait, qui n'a de meilleur point de chute
que la marmite de viande sur le feu …
Mmm… Du lait et de la viande ensemble? Le ballet cesse, les balais s'immobilisent.
Les regards vont de l'une à l'autre, penauds. Quel gâchis! Le
mélange de lait et de viande est interdit par la Torah, sans équivoque,
surtout qu'il est tombé une grande quantité de lait dans la
marmite. Tout jeter, tout recommencer à quelques heures du début
du banquet…
File
chez le Rav demande la maîtresse de maison à son mari, demande
lui conseil.
Chez le Rav pour une affaire aussi énorme? Tu vois bien qu'il y a plus
qu'une part de lait pour soixante part du contenu de la casserole. Je ne vais
pas en plus importuner le Rav pour une question aussi évidente!
Essaye quand même, il aura peut être une idée …
Le Rav Chmouel Salent écouta avec attention le récit du chef
de la Sainte Société, posa quelques questions sur la taille
du pot de lait, de la marmite. Il hocha de la tête, puis demanda à
son hôte de revenir une heure plus tard. Stupéfait, le maître
de maison s'en fut. Le Rav avait pour habitude de donner sa réponse
immédiatement. Son érudition s'accompagnait d'une finesse et
d'une rapidité du raisonnement sans pareil. Mais de là à
s'enfermer avec ses livres pour une telle "question"!
Résigné et prêt à tout, il revint une heure plus
tard.
- Il n'y a aucun problème, tout est cacher sans la moindre hésitation.
Je ne veux pas vous expliquer pourquoi, mais soyez tranquille, même
les plus rigoureux d'entre vous peuvent consommer ce plat, et d'ailleurs je
viendrai participer moi même au banquet pour manger de cette viande.
Avec un tel argument, il n'y avait plus d'objection!
Il annonça joyeusement la double bonne nouvelle à toute la maisonnée:
la marmite est cachère, et nous aurons l'honneur de la présence
du Rav!
Grand soupir de soulagement du côté des dames, étonnements
chez les messieurs. Quelle pouvait être la raison pour laquelle le Rav
n'avait pas souhaité communiquer les raisons de sa décision?
Peu de temps après, le banquet commençait, en présence
de l'illustre Rabbin de Jérusalem. Inutile de dire que la préoccupation
des participants était bien loin du sort de la marmite de viande. Même
si les plus scrupuleux attendirent de voir le Rav porter à sa bouche
la viande contestée avant d'en manger.
Ce n'est que des années plus tard que l'on apprit le fin mot de l'histoire.
Le laitier de Jérusalem sentant sa mort prochaine fit venir la confrérie,
selon l'usage, pour leur confier ses derniers mots. Et leur tint à
peu près ce langage.
Lorsque le Rav Chmouel fut seul, après le départ du chef de
la Sainte Société, il avait fait appeler le laitier. Sous le
sceau du secret, il lui avait fait avouer que le lait … était coupé
d'eau. Or la quantité d'eau que le rustre rajoutait était telle
qu'il y avait bien moins qu'un soixantième de lait dans la fameuse
marmite de viande. Dès lors, le mélange opéré
involontairement était toléré, et le plat permis par
les lois les plus strictes de la Cacherouth.
Tous comprirent alors pourquoi le Rav avait tant tenu à cacher les
motivations de sa surprenante décision. Il ne voulait pas faire honte
à ce malheureux laitier.