La cacherouth

Un dossier préparé par K. Acher
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Mise à jour le


Le chien qui mangeait cachère
(ou la bombe à retardement)

Il y a environ trente ans, on proposa une transaction à Reb Yts'hak Namass, un vendeur de timbres rares, à New York. Pour cela, il rencontra un certain M. Tankel, lui aussi vendeur de timbres. L'affaire ne se fit pas et apparemment tous les plans, les efforts, les voyages et le temps passé semblaient avoir été vains.
Et pourtant... Reb Namass était un 'Hassid. Et tout 'Hassid sait que "D.ieu prépare les pas de l'homme" et puisqu'il avait rencontré un autre Juif, peut-être pourrait-il au moins l'influencer pour une pratique plus rigoureuse. Il suggéra donc à M. Tankel de fermer son magasin le Chabbat. Mais celui-ci refusa: "Soyons réalistes! L'essentiel de mes transactions se passe le Chabbat!"
Reb Namass téléphona alors à Rav 'Hadakov, le secrétaire du Rabbi et celui-ci lui conseilla: "Même si son magasin reste ouvert le Chabbat, il serait bon qu'il fasse néanmoins le Kiddouch avant le repas vendredi soir. De plus, il serait souhaitable de l'influencer pour qu'il mange cachère". Reb Namass retourna donc chez M. Tankel et lui fit part des suggestions de Rav 'Hadakov: M. Tankel accepta l'idée de réciter le Kiddouch mais ajouta: "Ma femme ne sera certainement pas d'accord de manger cachère car cela lui coûterait un trop gros effort". Les jours passèrent. M. Tankel se rendit en Belgique avec son épouse, mais à la suite d'un terrible accident de voiture, Mme Tankel perdit la vie.
Dès que Reb Namass entendit la nouvelle, il se rendit chez lui pour une visite de condoléances. Tout en essayant de le consoler, il lui suggéra encore une fois de manger cachère: "Faites-le en l'honneur de votre défunte épouse! Toute Mitsvah que l'on s'engage à faire en l'honneur d'un disparu ajoute à son mérite!" Mais Reb Tankel était brisé: "Maintenant? Alors qu'il n'y a plus de femme dans mon foyer pour me faire la cuisine?" Au lieu de comprendre "Non", Reb Namass comprit "Oui"... Et il continua sur sa lancée: "Bien sûr, je n'avais pas l'intention de vous ajouter un souci supplémentaire, D.ieu préserve! Je vous apporterai moi-même, chaque semaine, à mes frais des barquettes surgelées toutes prêtes. Vous les garderez au congélateur et les réchaufferez au fur et à mesure!"
Après mûre réflexion, M. Tankel acquiesca. Et comme il convient, ils se serrèrent la main avec les mots traditionnels: "Mazal Oubrakha".
A cette époque, ces barquettes n'étaient disponibles que chez le traiteur Schreiber, dans le Bronx. Chaque barquette coûtait un dollar et demi, ce qui faisait donc quarante-cinq dollars par mois, une somme rondelette à cette époque où le salaire moyen était de deux cents dollars...! Reb Namass était si content d'avoir réussi à persuader M. Tankel de manger cachère qu'il décida que, tous les jeudis, il se rendrait, en métro, chez Schreiber, pour y acheter sept barquettes, reprendrait le métro jusqu'à Riverdale apporter son lourd paquet à M. Tankel puis retournerait chez lui à Crown Heights, toujours en métro. Il ne pouvait acheter plus que sept barquettes à la fois parce qu'il n'avait pas plus de dix dollars et demi par semaine à consacrer à cette Mitsva et d'autre part, ce chargement était déjà assez encombrant à transporter. De plus, et c'était sans doute la raison essentielle, cela lui permettait de garder le contact avec M. Tankel.
Il fit cela pendant un an et demi. Fidèlement. Qu'il neige ou qu'il vente, que la chaleur soit étouffante et moite ou qu'il pleuve des hallebardes, il passait, chaque jeudi, quatre heures dans le métro pour permettre à un autre Juif de manger cachère! Un jour, M. Tankel lui dit: "J'apprécie énormément vos efforts mais je voudrais vous dire que ce n'est pas la peine de continuer!" Reb Namass ne comprenait pas. Il protesta, disant que l'effort qu'il fournissait n'était rien par rapport à la joie qu'il ressentait à rencontrer chaque semaine un Juif intelligent. Mais M. Tankel insista, avec toutes sortes d'arguments jusqu'à ce qu'il finisse par "gaffer": "Je vais vous dire la vérité: ces repas sont trop salés!" - "Mais pourquoi ne me l'avez-vous pas dit plus tôt? J'aurais pu en faire la remarque au traiteur! Vous avez dû souffrir!" - "Non, je n'en ai pas souffert, rassurez-vous. Je ne les ai pas mangées, c'est tout!" - "Mais alors, qu'en avez-vous fait?" demanda Reb Namass en pensant aux heures qu'il avait passés dans le métro cette année et à l'argent que cela lui avait coûté... - "Heu..., j'ai donné les barquettes au chien...!" avoua M. Tankel avec un soupir.
Silence. Un lourd silence.
Comment décrire ce qui se passa dans la tête de Reb Namass, ses jambes flageolantes et ce sentiment que tous ces efforts... pour qu'un chien mange cachère!!!
Quelques années plus tard, Mme Namass reçut un coup de fil. On lui demandait si elle pouvait héberger, le temps d'un week-end, un étudiant qui souhaitait passer Chabbat dans une famille 'hassidique. Elle accepta avec empressement et, effectivement, le vendredi suivant, un jeune étudiant sonna à la porte, se présenta et resta timidement à l'entrée.
"Entrez, entrez, venez prendre un peu de poisson pour goûter les mets de Chabbat avant l'allumage des bougies!" - "C'est que... je ne voudrais pas qu'il y ait une confusion dans votre esprit... N'imaginez surtout pas que j'envisage de devenir religieux. Je voulais juste voir".
Mme Namass sourit et dit: "Il n'y a pas de fil attaché à l'assiette qui vous forcerait à devenir religieux. Nous ne faisons pas de missionnarisme!" Au bout d'un moment, le jeune homme se détendit et raconta: "Je viens d'une famille très assimilée, ma sœur est d'ailleurs mariée à un non Juif. La seule raison pour laquelle je suis venu ici, c'est que mon grand-père m'a raconté qu'il y a longtemps, un Juif de Crown Heights lui a apporté, pendant un an et demi, régulièrement chaque semaine, des barquettes cachères. Cela m'a beaucoup impressionné: qu'un Juif se fatigue ainsi et dépense tant de temps et d'argent pour qu'un autre Juif, qui habite si loin de lui, puisse manger cachère..."
Mme Namass lui coupa la parole, stupéfaite: - "Votre grand-père s'appelle-t-il... M. Tankel?" - "C'est exact! Comment le savez-vous? - "Parce que c'était mon mari qui lui apportait ces barquettes!"
Tant d'années avaient passé! Les efforts de Reb Namass n'avaient pas été vains! Même si M. Tankel n'avait pas mangé ses barquettes, son petit-fils en "profitait" maintenant...
Après les premiers moments de stupéfaction devant cet incroyable dévoilement de la Providence divine, le petit-fils de M. Tankel profita pleinement de son premier Chabbat... qui fut suivi de beaucoup d'autres. Il n'y avait ni questions ni réponses, simplement une chaleur familiale telle que, de lui-même, il décida d'approfondir sa connaissance du judaïsme...
Il est maintenant marié et ses enfants fréquentent les meilleurs écoles 'hassidiques...

Rav Chabtaï Slavatitski, Anvers traduit par Feiga Lubecki

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