La cacherouth

Un dossier préparé par K. Acher
Pour une lecture plein écran, ouvrez http://www.kacher.fr dans votre navigateur.
Mise à jour le

 


Extrait des Mémoires du Rabbi

Dans un procès en diffamation, on tente de faire passer qu'un rabbin peut prendre des décisions différentes d'un autre rabbin. Un sophisme du genre "un juge peut prendre des décisions contredisant des jugements rendus par d'autres juges".
Ce qui pourrait être vrai dans le cadre d'une discussion rabbinique ne l'est pas lorsqu'il s'agit de modifier une réalioté, comme convertir un lait non surveillé en lait surveillé, et un produit non surveillé pour Pessa'h en produit Cacher pour Pessa'h.
D'ailleurs l'argument n'est pas nouveau, comme l'évoque l'histoire ci dessous, contée par Rabbi Yossef Its'hak, même si les circonstances sont différentes.
On remarquera que la dictée n'a pas été la même pour les candidats aux bobards, même si la notion qu'ils font gober est identique.

 

LES MEMOIRES DU RABBI DE LUBAVITCH

Comme le MaHaRaL le raconta plus tard, il n'avait jamais vu une ville semblable à Cracovie, où l'on considérait les étudiants de la Torah avec le plus grand respect et la plus haute estime. Les bouchers, les porteurs d'eau et les bûcherons étaient tous parmi les grands savants de la ville. Et le comportement des hommes entre eux était des plus exceptionnels. La ville était un des plus hauts exemples d'instruction et de valeurs morales. On y étudiait la Torah et aussi ses interprétations ésotériques.
Au cœur même de la ville se trouvait un terrain circulaire mesurant environ trente coudées, entouré d'un mur de briques. On disait qu'une fois la terre s'était ouverte à cet endroit, engloutissant ceux qui se trouvaient là, devant les yeux d'une grande assistance. Voici quelle était l'histoire:
En 5123 (1363), le Gaon Rabbi Its'hak fut nommé Rav de Cracovie. Il était venu d'Allemagne, expulsé de ce pays avec tous les autres Juifs à cette époque. Cracovie était alors sous la domination de l'un des princes polonais et ses domaines étaient administrés par un certain Juif allemand du nom de Schlomo Séligman. Ce Schlomo était un Cohen, mais il était tellement éloigné de toute pensée religieuse, que ceci ne signifiait absolument rien pour lui, et c'était un pécheur dans tous les sens du mot. Il avait troqué son nom contre Sigmund et était tombé amoureux d'une divorcée de Cracovie. C'était une Juive et aussi il voulait que le Rav les marie pour complaire à la famille de la jeune femme. Il prit contact avec Rabbi Its'hak, qui, lorsqu'il apprit que Séligman était un Cohen refusa naturellement d'accomplir la cérémonie religieuse, car il est interdit par la loi juive à un membre de la tribu "sacerdotale" d'épouser une divorcée.
Séligman répondit alors qu'il abandonnerait volontiers le privilège de son "sacerdoce" et souhaitait seulement épouser la femme qu'il avait choisie pour être son épouse. Et si le Rav refusait de se conformer à sa demande de les marier selon la loi et la coutume juive, il menaçait d'aller se marier dans une autre ville.
Le Rav fit alors appeler cette femme et ses parents. C'étaient des gens riches et très influents, mais ceci ne l'empêcha pas de leur dire que si cette femme persistait dans son désir d'épouser Séligman malgré l'interdiction de la loi juive, il la ferait mettre en 'Hérem.
Les parents étaient en relation d'affaires avec Séligman et désiraient le voir devenir membre de leur famille; aussi firent-ils la sourde oreille aux paroles du Rav, pensant qu'il interprétait probablement la Loi d'une façon trop stricte. Voyant qu'ils étaient prêts à le soutenir dans ses désirs, Séligman entra en colère contre le Rav, surtout quand celui-ci annonça du haut de la chaire de la Synagogue qu'il interdisait formellement aux coupables de se marier.
En ville, les opinions en la matière étaient partagées. Naturellement, les savants et autres Juifs craignant D.ieu défendaient la position du Rav. Mais la famille riche de la divorcée et d'autres qui cherchaient toujours à profaner la loi, soutenaient Séligman, peut-être dans l'espoir de futures négociations d'affaires avec lui.
Séligman était très aimé de son employeur, le Prince polonais, et quand il lui parla de ses "ennuis" et lui dit qu'à cause d'une "bagatelle" le Rav refusait de le marier à la femme de son choix, le prince promit qu'il "arrangerait" les choses pour lui de telle sorte que tout irait pour le mieux!
Il envoya alors chercher le Rav et demanda aussi à l'évêque d'être présent en même temps. Le Rav, étant un très vieil homme, arriva accompagné d'un ancien de la communauté.
Le prince demanda alors à connaître la raison pour laquelle le Rav refusait la permission de se marier à deux personnes qui le désiraient tellement. Rabbi Its'hak expliqua que, selon la loi juive, un membre de la tribu "sacerdotale" à laquelle appartenait Séligman n'avait pas le droit d'épouser une divorcée. Et, ajouta le Rav, ceci n'était pas un sujet sur lequel il avait le pouvoir de décréter différemment.
Le prince se tourna alors vers l'évêque et dit que puisqu'il connaissait la bible juive, il devrait pouvoir expliquer si les affirmations du Rav reposaient sur des bases solides. L'évêque étant antisémite et voyant une occasion de faire du tort aux Juifs, répondit avec empressement:

- Il y a bien une telle loi dans leur Bible, mais les Rabbins ont le pouvoir d'annuler la loi s'ils le désirent. Ainsi ils interdisent souvent ce qui, d'après la Bible, est permis, et permettent ce que la Bible dit être défendu. C'est ce que faisaient les Sages du Talmud, ajouta-t-il, voulant montrer son vaste savoir.
Le Rav affirma alors courageusement que ce que l'évêque venait de dire était entièrement faux.
- Quand D.ieu a donné la Torah à Moïse, expliqua le Rav, tout était consigné par écrit. Mais, de plus, il lui donna aussi la Loi Orale, qui comprenait des explications et des interprétations de la Torah. Celles-ci ont été transmises oralement de génération en génération, jusqu'à la trente deuxième génération, à l'époque des Sages qui, finalement, l'écrivirent. De cette façon, la loi est parvenue jusqu'à nous dans toute sa clarté depuis le jour où elle a été donnée aux Juifs sur le Mont Sinaï.
L'évêque se mit alors, d'une voix pleine de suffisance, à poser au Rav toutes sortes de questions hors de propos, pensant qu'il le ridiculiserait ainsi aux yeux du prince. Mais le Rav ne fut. pas si facilement déconcerté; il s'était attendu à quelque supercherie et avait ses réponses toutes prêtes. Il n'était pas le premier dans l'histoire juive à avoir été ainsi attaqué par des antisémites. Le Rav connaissait. les discussions que le Ramban avait eues avec les chefs chrétiens quand on lui avait posé des questions semblables (Dispute de Barcelone, 1263).
Maintenant que le Rav avait une réponse pour chacune des questions que lui posait l'évêque, le prince ne pouvait s'empêcher de l'admirer et c'était l'évêque qui semblait maintenant stupide aux yeux du prince. Cette tournure inattendue des événements mit l'évêque en fureur, et, craignant que l'admiration du prince s'étende à tous les Juifs, l'évêque se mit à dénigrer violemment les Juifs et leur foi.
Bien que bouillant intérieurement d'indignation devant l'audace de l'évêque, le Rav demeurait apparemment parfaitement calme tandis qu'il rappelait tranquillement à l'évêque qu'il devrait vraiment parler avec un plus grand respect des Juifs et de leur foi. Ne connaissait-il pas le proverbe connu de par le monde: "Ne crachez pas dans l'assiette où vous avez mangé." Non seulement les chrétiens avaient puisé aux sources juives, mais encore celui qui leur avait donné leur religion descendait aussi des Juifs, soit d'une manière naturelle comme le croyaient les Juifs, soit d'une manière surnaturelle comme le croyaient les chrétiens. L'évêque ne put se contenir plus longtemps et se leva d'un bond en criant :
- Incroyant que vous êtes! Comment osez-vous profaner mon D.ieu devant moi! Et alors qui était votre Moïse?
- Moïse, notre Maître, est né comme tous les hommes, répondit calmement le Rav. Il avait un père, Amram, et une mère, Jochebed. Il est né le septième jour d'Adar, en l'an 2368 de la création. Il vécut 120 ans et mourut le septième jour d'Adar, le jour de son anniversaire, en l'an 2488 après la création.
- Je dois admettre que vous avez sûrement l'air de savoir quand est né Moïse et quand il est mort, railla l'évêque.
- Certainement, je le sais, répondit Rabbi Its'hak Et tous les Juifs le savent, de même qu'ils savent qu'il y: un D.ieu. Car on le leur a dit clairement de génération en génération, depuis l'époque de notre Patriarche, Abraham qui fut le premier à reconnaître l'existence d'un D.ieu unique
- Et le D.ieu des chrétiens? demanda l'évêque.
- Il n'y a qu'un D.ieu et un seul. C'est le D.ieu de tous expliqua Rabbi Its'hak et il se mit à citer des textes chrétiens pour soutenir cette affirmation, en particulier de passages du Nouveau Testament.
L'évêque vit qu'il avait perdu la "bataille".
Apparemment, le Rav connaissait mieux la bible de l'évêque qu'il ne la connaissait lui-même. Ici le prince intervint. Il savait parfaitement que le Rav avait eu le dernier mot dans la discussion, mais, bien que l'évêque fût très nettement battu: le prince sentait qu'il était de son devoir de le soutenir moralement. Le prince interrompit alors la discussion en ramenant le sujet du mariage de Séligman avec la divorcée Aussi, d'un ton très hautain en vérité, il se tourna ver le Rav et dit :
- Même s'il est vrai que la loi juive est telle que vous le dites, et qu'il est interdit à un "Cohen" d'épouser une divorcée, puisque Séligman est tout prêt à abandonner volontiers le privilège d'être un "Cohen" et souhait épouser cette divorcée, je vous ordonne d'obéir à sa requête et de les marier selon la loi juive comme Séligman et sa fiancée le désirent.
Le vieux Rav de Cracovie, le saint Rabbi Its'hak. ne fut pas le moins du monde intimidé par l'ordre du prince et répondit calmement mais fermement :
- J'exécuterais vos ordres avec plaisir si ce n'était le fait que je suis obligé d'obéir à une autorité supérieure à la vôtre, c'est-à-dire au Seigneur de la création.
La Torah défend clairement à un "Cohen" d'épouser une divorcée et aussi je n'accomplirai pas cette cérémonie pour Séligman.
Ceci mit le prince en rage.
- Nous verrons bientôt qui gagnera dans ce cas! répondit-il avec colère.
Quelques jours plus tard, le Rav se vit soudain entouré par une troupe de soldats en armes qui lui dirent qu'ils avaient été envoyés par le prince pour l'amener sur la place du marché au centre de la ville. L'ordre stipulait de plus que là, devant une grande assemblée de peuple, Gentils aussi bien que Juifs, le Rav serait contraint d'accomplir la cérémonie du mariage unissant Séligman et la divorcée.
Quand le Rav arriva avec son escorte armée sur la place du marché, Séligman et sa fiancée l'attendaient déjà, ainsi que les parents de la fiancée et un vaste public, tous curieux de voir ce mariage insolite. Car tous savaient que c'était sur l'ordre du prince que le mariage allait être célébré de façon si spectaculaire sur la place du marché.
La fiancée et le fiancé étaient radieux. Leurs yeux brillaient de satisfaction quand ils virent le vieux Rav. Maintenant, il voyait qui avait été le plus malin. Mais que disait le vieil homme?
- Je vous avertis que je ne commettrai pas ce péché, défendu par la Torah, même au péril de ma vie, dit-il à la fiancée et au fiancé et on ne pouvait douter qu'il pensait chaque mot qu'il prononçait. Vous devriez savoir que quoi qu'il arrive maintenant et quel que soit le sort réservé aux autres et à moi-même, tout sera entièrement le résultat de votre péché!
Le vieux Rav continua d'intercéder auprès d'eux afin que, même alors, ils réfléchissent à l'acte mauvais qu'ils se proposaient d'accomplir. Et s'ils consentaient à abandonner leur idée de mariage ce qui était absolument contre la Torah, alors le prince annulerait ses ordres et l'affaire serait réglée.
- Ayez pitié de vous-mêmes, les supplia Rabbi Its'hak, les larmes aux yeux. Je vous en prie, faites ce que je vous demande, non pour moi, mais pour vous-mêmes!
Non seulement les invités du mariage firent-ils la sourde oreille à ses supplications, mais ils se mirent à lancer des injures au vieux Rav qui "osait" leur demander de changer leurs projets. Le Rav essaya une fois encore de leur montrer à quel point ils avaient tort, mais il vit que c'était sans résultat. Il éleva alors la voix et s'écria, les yeux levés vers le ciel :
- "O Maître de l'univers, ces gens essaient de me forcer à enfreindre tes commandements. Pour la gloire de Ton Nom, D.ieu bien-aimé, et afin que Tes fidèles serviteurs qui respectent la sainteté de Ton Nom en pure foi soient encouragés; abaisse les yeux sur nous, bénis ceux qui respectent tes commandements et maudis ceux qui s'opposent obstinément à Toi."
Ayant dit sa prière, le vieux Rav se tourna une fois encore vers le fiancé et le reste de la noce et les supplia de se repentir. Mais tout ce qu'il reçut en guise de réponse fut un torrent d'injures et de malédictions.
Rabbi Its'hak murmura alors une autre prière, puis s'écria d'une voix pleine de larmes: "Réponds-moi, ô D.ieu, réponds-moi. Fais-le pour la gloire de Ton Nom, saint, grand et redoutable!"
Le Rav avait à peine terminé sa prière venue du fond de l'âme, que la terre se mit à trembler sous eux, et s'ouvrit à leurs pieds! Avant que quiconque ait pu bouger pour faire quoi que ce soit, la fiancée et le fiancé furent aspirés par la terre, jusqu'au cou et, un instant plus tard, devant les yeux de toute la foule, ils furent complètement engloutis hors de vue. Tous tremblaient de peur, puis avec soulagement virent la terre se refermer comme si rien ne s'était passé pour la troubler. Les soldats armés enfoncèrent leurs épées dans la terre à l'endroit où le couple avait disparu, pour marquer le lieu où s'était déroulée la tragédie.
La nouvelle se répandit rapidement dans toute la ville et tout le monde était en émoi, car tous, hommes, femmes et enfants, se précipitaient vers la place du marché pour voir la scène de la catastrophe. La nouvelle parvint aussi aux oreilles du prince et il réalisa combien la sainteté et le pouvoir du vieux Rav de Cracovie étaient grands.
Le prince envoya alors chercher l'évêque pour lui demander son avis sur la façon dont il pourrait implorer le pardon du vieux Rabbin, que lui et l'évêque avaient traité avec un tel mépris. Le prince était maintenant terrifié, craignant d'être puni lui aussi pour le rôle qu'il avait joué dans l'affaire Séligman.
Quand le messager atteignit la demeure de l'évêque, il trouva ce dernier fou furieux! Il se lançait de côté et d'autre, et deux prêtres luttaient pour lui tenir les bras afin de le maîtriser et le tenir tranquille. L'évêque avait sombré dans cet état dès qu'il avait appris que le couple, Séligman et sa fiancée, avaient été engloutis par la terre quand le vieux Rav avait prié D.ieu.
Quand le messager du prince revint en rapportant ce se passait chez l'évêque, le prince décida d'aller lui-même trouver Rabbi Its'hak et lui demander son pardon pour l'avoir insulté et pour avoir traité sa religion si légèrement. Le vieux Rav répondit que le prince n'avait pas besoin de lui demander son pardon car il n'avait rien fait de blessant contre lui. Et quant à la façon dont il avait parlé de la religion juive, ce n'était pas sa faute mais celle de son éducation erronée.
Le Rav dit qu'il n'avait qu'une prière à adresser au prince: étant donné qu'il était interdit aux "Cohanim" de marcher sur l'endroit où se trouvaient des tombes, lui serait-il possible de faire élever un mur de briques autour du lieu où le couple avait été englouti par la terre, au centre de la place du marché?
Le prince, en quelque sorte fasciné, consentit à le faire faire immédiatement. Et à l'endroit même où s'était tenue la foule, il fit construire un haut mur de briques entourant l'endroit où les deux avaient disparu.


LES MEMOIRES de RABBI Yossef Its'hak Schneersohn
Edité par le Merkaz leinianei Chinuch

Un dossier préparé par K. Acher