La cacherouth

Un dossier préparé par K. Acher
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La Che'hitah interdite

 

MOCHE NOA'H
 

 

Notre histoire commence en 1836 dans une bourgade de Pologne.
Elle va nous faire partager la vie juive de l'époque: amour de la Torah et de ses Commandements, fréquentation des Sages de l'époque, amour de la Terre d'Israël. Ce sont ces valeurs éternelles du judaïsme que Moché Noa'h va nous faire partager, sous la plume de M. Guets, auteur de "Yérouchalaïm chel Maalah".
 

 

 

 
 


L'accueil

Ce Roch 'Hodech 1 Sivan de l'année 5596 (1836) était un jour de fête à Lomzhe, en Lithuanie. La ville entière semblait sereine et digne. L'ambiance des grands jours régnait derrière les fenêtres largement ouvertes des maisons de la ville. On apercevait à l'intérieur des nappes blanches, comme on en utilise d'habitude à Pessa'h,(pâques) étendues sur les tables, des parures de Chabbat recouvrant les fauteuils. Plus étonnant encore, les maisons étaient vides! Qu'était il donc arrivé aux habitants si calmes de Lomzhe?
 
 

De fait, hommes femmes et enfants étaient tous sortis accueillir un invité de marque, Gaon (grand érudit) dans sa génération, Rabbi Akiba Eigger, venu pour une courte visite dans la ville.
Un des témoins de cette journée a noté dans son journal:
"C'est par centaines que les habitants de Lomzhe et des environs sont venus à la rencontre de Rabbi Akiba Eigger, qui arriva dans un splendide carrosse attelé à quatre chevaux. Un frêle personnage, revêtu d'un manteau de soie, un bonnet de fourrure sur la tête apparaissait modestement dans le carrosse. J'ai encore aujourd'hui le souvenir de ce visage noble et doux, ce je ne sais quoi que l'on ne trouve que chez les Grands et qui exprime la grandeur et la finesse de leur âme. Telle fut l'impression de tous ceux qui se pressaient autour de lui, en retenant leur souffle.
Nous étions là des centaines à le voir descendre du carrosse et gravir les quelques marches du perron, s'arrêter pour adresser à la foule un léger sourire, empreint d'amour. Tous étaient tournés vers lui avec un grand respect.
L'un des hommes s'écria "Baroukh haba" (bienvenue) et tous répétèrent après lui. Saisies d'émotion, les femmes se mirent à sangloter."
Il n'y a certainement pas d'exagération dans cette description d'époque: qui, de tous les habitants de Lomzhe n'était pas venu sur cette grande place à l'entrée de la ville? Les
Bné Torah (Sages, étudiants de la Torah) avaient fermé leurs livres, les commerçants avaient abandonné leurs échoppes, et les femmes avaient déserté leurs cuisines pour venir ici leur bébé dans les bras, tous ensemble pour manifester leur respect au Grand de la Torah, le Maître de la génération. L'émotion, joie et larmes, fut à son comble lorsque le Rav tendit la main pour saluer grands et petits. Les mères se pressaient sur le bord de l'allée pour que le Rav pose ses mains sur la tête de leur enfant et le bénisse. A tous, le Rav murmurait "que D. vous rajoute des bénédictions, à vous et à vos enfants" (Psaumes 115, 14).

Rabbi Yéro'ham Fichel Perlov, auteur d'un commentaire sur le Livre des Commandements de Rabbi Saadia Gaon, qui fut l'un des grands Maîtres à Jérusalem aimait raconter qu'il était l'un de ces enfants qui eurent le mérite d'être bénis par Rabbi Akiba Eigger qui avait posé les mains sur sa tête.


Tu ne te déroberas point de ton proche...

Les riches de la ville rivalisaient entre eux pour avoir l'honneur d'accueillir et d'héberger le Rav durant son séjour dans la ville. On avait même convenu que l'on tirerait au sort pour savoir à qui reviendrait ce mérite. Toutefois, on apprit que Rabbi Akiba Eigger avait décidé qu'il irait chez un membre de sa famille qui habitait en ville.

Qui donc était ce proche? Les chefs de la communauté se renseignèrent auprès de leur illustre invité, sans succès. Après beaucoup d'insistance, le Rav le nomma: c'était un des mendiants, toujours assis au fond du Beth Hamidrach. Les notables esquissèrent une grimace: un Gaon de cette dimension allait visiter une grande ville juive comme Lomzhe pour y être accueilli dans la maison d'un juif pauvre tout simple! Qu'allaient dire les gens! Serons nous quittes de la Mitsvah de respecter la Torah et ses Sages ?

Mais Rabbi Akiba Eigger ne voulut rien entendre: il exigea de ses hôtes qu'on l'emmène de suite chez son parent.
Les notables essayèrent à nouveau, mais en vain de l'en dissuader, lui décrirent la pauvreté de cette petite maison - était ce même une maison, cette baraque sur le point de s'écrouler ? Ils parlèrent de la honte qu'éprouveraient les habitants de Lomzhe après un tel accueil. Ils promirent que l'on installerait son parent à la table d'honneur, et qu'il serait comme le maître de maison là où le Gaon serait reçu.
Les érudits tentèrent également de fléchir le Maître: puisque déjà pour une Mitsvah DeOraïta (commandement écrit dans la thora)comme rapporter un objet trouvé, un Sage en est dispensé si la situation n'est pas en rapport avec sa dignité, alors pourquoi le Rav irait il honorer son parent qui ne peut le recevoir avec toute la dignité requise, et par là offense toute la ville?
Rabbi Akiba Eigger prit un air sévère, et son visage pâlit comme lorsqu'il était assis à rédiger ses 'Hidouchim (commentaires) mais il répondit immédiatement:
"Chers amis, c'est bien la preuve du contraire que vous m'apportez là! Lorsqu'à propos d'un objet trouvé la Torah dit "et tu te déroberais" (Deutéronome 22), nos Sages ont expliqué qu'il y a là possibilité effective de se dérober devant la Mitsvah dans le cas d'un Sage pour qui ramasser l'objet serait un affront. Mais le même mot est employé pour nous dire "et de ta chair tu ne te déroberas point!" (Isaïe 58), et il n'y a donc aucune possibilité de se dérober à la préférence que l'on doit donner à son proche."

Les notables, tout autant que les Sages, furent surpris d'entendre une réponse aussi vive de la part du Rav et ils durent se résigner à l'accompagner chez son hôte, chez qui il s'établit durant tout son séjour à Lomzhe.
Et de ce jour là jusqu'à son départ un flux incessant de visiteurs investit la ruelle des forgerons où le Gaon résidait.
Qui de la ville ou des alentours n'y était pas venu? Les érudits avec leurs questions ou leurs réponses sur des points de Talmud, d'autres seulement pour assister aux offices du Rabbi, l'entendre, le voir à table...
"Chacun de ses gestes est un livre de Torah ouvert" se soufflaient les gens. Beaucoup venaient aussi pour déverser la tristesse de leur coeur, demander un conseil, une bénédiction, un mot de réconfort ou une phrase apaisante. Une montagne de petits billets s'élevait de jour en jour sur la table, avec les demandes les plus diverses d'entre ce qu'un coeur juif a besoin: parnassah (revenus), Chalom Baït (paix dans le foyer)satisfaction du devenir des enfants, santé, etc...
 


La demande d'Ethel

Parmi le flot de personnes qui se pressaient à la porte de la maisonnette, dès les premiers jours, se trouvait la Rabbanite (femme de rabbin) Ethel ...

Après des heures d'attente, vint son tour, et elle se présenta devant le Gaon, les yeux baignés de larmes. Cette Ethel, qui resplendissait d'habitude de joie, qui était toujours la première à accourir pour toute Mitsvah qui se présentait, quel était donc son problème?

Elle avait neuf enfants, tous assidus à la Yéchivah, sauf l'un d'entre eux, Moché Noa'h, qui au grand désespoir de ses parents était complètement "bouché", et n'avait jamais réussi à apprendre ne serait ce qu'une ligne de Guemara. Ethel avait déjà consulté des Rabbins réputés, reçu toutes sortes de conseils mais sans effets.
A ce jour, Moché Noa'h allait sur ses quinze ans, et étudiait la Torah comme un enfant de trois ans ... Plus étonnant, en calcul, écriture ou connaissances pratiques, il était particulièrement doué et éveillé, et saisissait en un instant ce que beaucoup d'autres avaient du mal à apprendre. Mais quand arrivait le cours de Guemara, c'était une autre affaire.


Rabbi Akiba Eigger écouta l'amère histoire que lui racontait cette maman brisée, minée par le malheur de son fils. Il conclut doucement

"Nos Sages ont décrété qu'il faut faire très attention à ce que même un bébé ne consomme pas une nourriture interdite, car ceci atteint son âme, et une fois grand, il sera de mauvais caractère et inaccessible aux paroles de Torah".

"
Quoi, quoi, s'écria Ethel, comme frappée d'hystérie, mon Moché Noa'h a mangé quelque chose interdite lorsqu'il était petit ? 'Hass veChalom ( que D.ieu en préserve) ! Rabbi c'est impos-sible !"

"Et pourtant, reprit doucement Rabbi Akiba Eigger, à t'écouter, il semble bien que ce soit la vraie cause de son incapacité à comprendre la Guemara ..."

Ethel, remplie de confiance dans les paroles du Sage s'effondra, puis après un court instant tenta
- Rabbi, et que faire pour ça ?
- Etudier la Torah dans la pauvreté. Beaucoup s'investir dans l'étude, dans la misère la plus grande."
 
 

Rabbi Akiba Eigger répéta plusieurs fois sa sentence. Déjà, le visiteur suivant se présentait devant le Sage, et Ethel quitta la pièce.

Elle se précipita chez elle, et raconta précipitamment à son mari, Rabbi Hirsch Leïb, les paroles du Rav, sa suggestion quant à la cause de l'ignorance de leur fils, et son conseil pour l'avenir.
- "Et comment as tu fait, toi la femme vertueuse pour laisser notre fils consommer une nourriture interdite ?" s'exclama Rabbi Hirsch Leïb avec indignation.

 
- "Comment peux tu t'imaginer une telle chose! éclata Ethel.
Qui sait mieux que toi l'attention que j'accorde à ces choses là! Jamais il n'est rentré à la maison du lait à la traite duquel je n'ai pas assisté. Les enfants ne connaissent pas le goût du pain du boulanger, car ils ne consomment que celui que je cuis moi même, après avoir tamisé la farine. Même les fruits et les légumes qui peuvent contenir des vers ne rentrent pas à la maison. Quant à la viande, c'est toi même qui l'apporte de chez le Cho'het (abatteur rituel) après avoir assisté à l'abattage et la vérification. Comment notre fils peut il, après tout ça, avoir consommé quelque chose d'interdit, et comment peux tu me soupçonner de négligence ?"

Un lourd silence s'installa entre eux. Ethel, approfondie dans ses réflexions, murmura:
"Peut être notre Moché Noa'h aurait consommé quelque chose d'interdit chez un voisin ou un ami ? Ou bien à un mariage ou une autre occasion ?"

Rabbi Hirsch Leïb approuva sa femme et ils se résolurent à mener l'enquête dès le retour de Moché Noa'h de la Yéchivah. C'est dire avec quelle impatience ils l'attendirent ce soir là. Son père s'assit face à lui, comme tous les soirs, puis commença à le questionner sur ses études de la journée. Il trouva rapidement l'occasion de lui demander s'il avait un jour mangé quoi que ce soit en dehors de la maison. Moché Noa'h répondit catégoriquement qu'il avait toujours respecté la consigne maternelle de ne jamais rien consommer chez des étrangers, et autant qu'il s'en souvienne, il n'avait jamais, même étant petit, accepté quelque nourriture de qui que ce soit: il ne goûtait que les nourritures préparées par sa mère. Rabbi Hirsch Leïb ne se contenta pas de cette réponse, et le reprit point par point. Il était malheureux de soupçonner son fils et de pratiquer un interrogatoire de façon aussi déplaisante, mais il était sûr que Rabbi Akiba Eigger avait vu juste: il traqua le moindre des souvenirs d'enfance de son fils, ses amis, ses promenades. Après deux heures de discussions, Moché Noa'h s'endormit sur son banc, épuisé. Il se réveilla en sursaut peu de temps après:

"Papa, Papa, je me souviens maintenant de quelque chose! J'avais cinq ans, c'était à Hanoucah, je sortais du 'Héder (de l'école) dans le froid et la nuit, et à l'hôtel qui est en ville, il y avait un mariage. Un des parents est sorti à notre rencontre et nous a pressés de venir prendre un bouillon chaud, avec une part de poulet ..!"

L'interrogatoire était terminé.
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